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dés-identification – à propos d’un gant en laine de la péruvie [sic]

 

à vous, jeunes gens, messieurs, mesdames, mamans, papas, petites filles, petits garçons, en exils et rencontrées à Calais, que la violence de cette précarité imposée met en danger, à vous, Alejandra, Illona, Roméo, Matilda, Aziz, Hassan, Adrian, Jean Rémi, Hugo, Flore, Matilde, Claire, Mato, Alo, Lizbeth, Breme, Abo, Hussein, Youssef, Mohammed, à nous, parce qu’une humanité se crée et se récrée à chaque instant, avec nos jeux, nos musiques, nos rires, malgré tout et parce qu’il me semble qu’il ne peut en être autrement

 et particulièrement à vous, messieurs, rencontrés aux abords des lieux, camps de fortune, où vous  vivez ou survivez, avec vos enfants parfois, votre épouse, que vous appelez madame et qu’il vous faut protéger, prendre soin, coûte que coûte, et qui se repose maintenant après cette aube si vaine, vous qui après toute cette violence cauchemardesque, êtes allé leur acheter des glaces en bâtonnets, parce que ce ne sont malgré tout que des enfants et qui d’autre que vous, leur père, pour se le rappeler, alors que l’école vient tout juste de reprendre, après deux mois de vacances-pourront-ils un jour, pardonner cette injustice qu’il leur est faite et qui vous laisse ce matin si amer, l’étiez-vous vraiment ou n’était-ce pas plutôt moi ? vous, vous m’avez juste dit :  » je ne comprends pas, ils ne veulent pas de nous, mais ils ne veulent pas non plus nous laisser partir « 

et vous dont j’ai pris la liberté de scruter le visage, le dernier endroit peut-être sur cette terre qui vous appartienne en droit, tant vous étiez abîmé en vous-même et sans que vous vous en offusquiez, mais cette gène quand  votre regard a finalement croisé le mien.

à vous,

un gant de toilette

en laine de la péruvie [sic] pour un process de dés-identification* parce que c’est toujours en de-venir-de

un gant tricoté avec de la laine brute de mouton achetée en 2010, lors de mon second voyage au Pérou, pays d’où est originaire ma mère, accompagnée cette fois-là par mon fils, qui avait 5 ans et moi 40.

pour une cartographie du désir – lire en écoutant Lia Kali : contra todo pronostico

« tous les chagrins sont supportables si on en fait un conte ou si on les raconte » Isak Dinesen, cité par Hanna Arendt dans la condition humaine

issue, comme on dit issue de la migration ou issue de secours

OU PEUT-ON S’AIMER

de la présence malgré l’absence

nous étions attablées toutes les deux, dans un café parisien près de l’Odéon, après avoir fait connaissance via les réseaux sociaux et parlé une fois par téléphone, nous étions là en train de discuter de cet état d’étrangeté hérité, avec ce que cela implique de stigmatisation, d’infantilisation, d’exotisation, relégation… liste non exhaustive et de Calais, qu’elle connait bien et où j’étais accompagnée, tal vez mandatée ou exhortée par les fantômes -que savons-nous ou avons-nous conscience exactement de leurs pouvoirs ? — des personnes exilées décédées*** aux portes et au sein même de l’europe fortifiée à cause des politiques migratoires criminelles et tant que justice ne leur sera pas rendue –

et je lui dit alors que l’absent, mon obsession, est là, lui aussi, avec nous, entre nous, dans ce café.

Béni de dieu

je lui ai, encore et encore, demandé de me rejoindre, cette fois-ci à Paris. il est son collier argenté, son sexe, sa voix, son regard…

il est de là-bas, où se côtoient des mondes, qui peuvent aller et venir et d’autres qui les regardent. des mondes dont les rapports sont bancals parce qu’inégalitaires et maintenant il est ici en france ou parti déjà pour un autre pays européen, il les a quasiment tous traversés,  en colère et déçu, déçu et en colère

les subalternes peuvent-elles parler ?*** parce que t’aimer est politique

et puis, j’ai appris, enfant, à ne plus rien dire, à garder tout en moi, parce qu’il m’était demandé de rendre compte, après. ou encore parce que c’est bon maintenant, tu l’a déjà dit ! [oui, mais m’as-tu vraiment entendu ?]

« viniste calatita****, y te iras calatita » dixit mon grand père péruvien qui menaçait ainsi ma mère :  » tu es venue nue et tu repartiras nue. »

alors, ce gant dont je me suis défait à Calais, c’est cette illusion de paradis perdu ou atteint, le pays de nos parents, de nos enfances, ou encore le pays de la liberté ou de cocagne, selon… pour se délester de ces peaux mortes qui nous empêchent de vivre et d’aimer pleinement

de la dés-identification

qui suis-je? : gmlpp pour Gaëlle Marie Lucie Pertel Pacheco, péruvienne née en france, d’un père français et d’une mère péruvienne, dé-placée enfant, de mes 3 ans à mes 10 ans en famille d’accueil, travailleuse des arts plastiques et performatifs, mère d’un Beau Gosse, dont les grands parents paternels sont originaires d’algérie

acceptes-tu que cela soit aussi décousu que ça?

à Rennes, le 14 février 2025

Gaëlle Pertel Pacheco

 



* »Mais à l’heure d’une lutte collective contre les discriminations, on visibilise ces catégories. (…) l’essentialisme stratégique. Les essences ça n’existe pas, mais ça peut être utilisé politiquement au moment de combattre des discriminations. » Thamy Ayouch psychanalyste- Oui, le racisme engendre des souffrances psychiques  : un psychanalyste lève le tabou Discriminations Entretien https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/191024/oui-le-racisme-engendre-des-souffrances-psychiques-un-psychanalyste-leve-le-tabou-19 octobre 2024

**60.620 décès de personnes en migration documenté par UNITED  le 10 Juin 2024, https://unitedagainstrefugeedeaths.eu/wp-content/uploads/2014/06/ListofDeathsActual.pdf

https://atwhatsmyname.blogspot.com/

***Gayatri Chakravorty Spivak, « Can the subaltern speak », 2009

****selon le Diccionario de peruanismos en línea, https://diperu.apl.org.pe/buscar?entrada=1298

1-adj. Desnudo, sin ropa en el cuerpo.

2-Que carece de lo necesario para vivir o ha sido despojado de lo que poseía.

3- Bebé, sobre todo el recién nacido.