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L’icône.

 

12607184_10207974833916285_386110463_n (3)C’est une Vierge à l’Enfant. Jadis, elle était recouverte d’argent et seuls les visages et les mains étaient visibles. Aujourd’hui, on les devine seulement.

Les silhouettes sont ocre foncé sur un fond jaune. Elles se tiennent dans un cadre, plus sombre, mais l’auréole de la Vierge dépasse du cadre.

Il n’y a plus d’inscriptions apparentes. Quelques traces de rouge sur le vêtement du Christ, mais c’est la terre (jaune, claire ou foncée) qui décidément domine.

Le bois est sombre, incurvé vers l’arrière. Cette icône est vieille, c’est évident.

Plus de visages non plus, mais le mouvement reste. La Vierge se penche vers son Fils, sa main le désigne, l’enfant s’accroche au manteau de sa mère.

Ce recouvrement en argent, en relief, a été vendu. Je ne sais pas quand ni à quelle occasion. Avant le départ ? A l’arrivée ? Dans les années qui ont suivi ? Je ne sais pas à quoi il ressemblait. Était-il poli ? Massif ? Avec des pierres ? C’est sans importance.

J’ai toujours vu cette icône telle qu’elle est aujourd’hui. Elle me vient de ma grand-mère; et comme chez elle, elle est accrochée dans l’angle opposé, en haut, face à la porte d’accès principale du salon, pour que le regard puisse la voir immédiatement dès le seuil.

Au-dessus, j’ai accroché les rameaux de buis rapportés de l’église, comme le veut la coutume.

Transmission, héritage.

Je suis française par droit du sol, parfaitement intégrée. Deuxième génération née en France. Ça va bientôt faire un siècle que mes grands-parents maternels et paternels ont fui leur patrie.

De leur Russie d’origine, il ne reste pas grand-chose. Ce qu’ils nous ont appris, eux et nos parents, c’est une langue quasiment morte (le peu de russe que je parle encore date des années vingt), une culture littéraire (Pouchkine, Tchekhov, Tolstoï…), la cuisine, et surtout l’orthodoxie.

J’ai grandi avec tous ces dimanches où nous allions à l’église. Enfant, j’y retrouvais mes copains, on se faufilait entre les adultes, on jouait. Ou bien j’allais dans le chœur rejoindre mon père qui chantait. J’ai été bercée par ces prières, j’ai été fascinée par le rituel, toutes ces bougies, cet encens, ces ors, ces chants. J’attendais le moment de la communion où l’on mangeait et buvait enfin du (vrai) pain et du (vrai) vin chaud.

Adolescente, ça s’est compliqué….

En pleine rébellion, j’ai tourné le dos aux traditions, à la culture… Je voulais être Française de France. Je ne pouvais pas malgré tout, me défaire de ma différence. Je n’ai jamais pu taire bien longtemps mes origines. Je marquais ma différence. Française, mais d’origine russe: tout un programme…

J’ai vieilli, je me suis marié avec un Français (Alsacien…). A l’église orthodoxe. nous avons trois enfants,  orthodoxes eux-aussi. Pas envisageable de faire autrement. Je ne suis pas assidue (loin s’en faut !), je ne vais que rarement à l’église : Les grandes fêtes (Noël, Pâques surtout, puis des événements familiaux). Pourtant j’y retrouve la même paix, le même plaisir. Les chœurs et l’encens, le reflet des bougies dans les icônes dorées, le rituel immuable, le pain (sans sel), le vin (chaud et doux), le plaisir des retrouvailles aussi avec les amis, qui eux aussi ont vieilli, nos enfants, déjà adultes, nos parents qui disparaissent…

On se retrouve une ou deux fois l’an au cimetière orthodoxe russe de sainte Geneviève-des-bois dans l’Essonne. Les croix orthodoxes en bois ou en pierre, les bulbes bleus ou dorés  – une chanson dit que c’est pour que Dieu les voit de loin -, se suivent, s’adossent. Certaines croix portent de petites icones. Derrière chacune d’elles, un arbre (rosier, lilas, bouleau…) a été planté il y a longtemps. Pas de pierres tombales en marbre, mais des fleurs ou des arbustes. Au printemps, c’est un vaste jardin. Tous les miens y reposent, tous à portée de vue. À Pâques, nous allons en famille déposer un œuf rouge, symbole de la résurrection, et une bougie jaune, celle de l’église,  sur nos tombes et celles de nos amis proches. On se retrouve autour de la croix de Papa, on discute, on boit un peu de porto. Ses petits enfants jouent sur les sépultures tout autour, posent des questions. Je me signe, je lui adresse une prière:  » que Dieu te garde ». Je touche la plaque sur laquelle est marqué son nom.

Je sais déjà où reposera mon corps. Je partagerai la tombe de ma grand-mère, celle de l’icône. Et il n’y a pas de tristesse, mais de l’humour: « c’est ma résidence secondaire, avant d’être la principale ! ».

Il n’y a pas de tristesse dans un jardin.

Hélène Jenny – Galitzine

 

Une réflexion sur “L’icône / Hélène Jenny – Galitzine

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