Le kanoun.
L’hiver approche avec les premiers froids et mes souvenirs de veillées autour des braises placées dans cet objet en terre cuite dont je ne parviens pas à me rappeler le nom. Cela m’intrigue ; je cherche sur internet « brasero marocain » et je trouve rapidement des photos avec le nom arabe : kanoun. Il s’agit bien du récipient que je connais mais je ne trouve pas le nom en tamazight. Etrange, ne pas parvenir à retrouver un mot dans ma langue maternelle… Je ne la pratique plus régulièrement mais quand même… Si j’entamais une conversation dans le berbère de mon enfance, peut-être retrouverais-je ce nom.
Qu’importe ; je revois ce kanoun contenant des petites bûches à l’état de braises qui rougeoient et offrent une température agréable si on se tient près de lui. Le feu était allumé à l’extérieur pour ne pas donner de fumée dans la maison puis cette poterie, avec ses braises, apportée au centre de la pièce où nous nous tenions. L’hiver était assez froid dans le village où je vécus jusqu’à mes quatorze ans. On apercevait le brouillard et la neige sur les montagnes dans le lointain. Il y avait du vent et parfois il gelait. Le soir, nous nous regroupions donc, dans le salon, autour de cette unique source de chaleur, source aussi de bonheur. Souvent le dîner, tajine à la viande de bœuf ou de mouton avec des légumes, était maintenu au chaud au dessus du kanoun. Après le repas nous restions à bavarder, ma mère, mes frères, mes grands-parents ainsi que mes oncles et tantes et mes cousines et cousins. Mon père, lui, travaillait en France et ne revenait que pendant ses vacances. Tout en conversant nous dégustions clémentines et oranges puis, plus tard, savourions le thé à la menthe en grignotant amandes et cacahuètes. La veillée durait facilement jusqu’à minuit. Nous ne pensions plus au froid extérieur. Parfois des voisins nous rejoignaient et l’ambiance était encore plus animée. Mes grands-parents, bien que se couchant tard, étaient toujours levés à six heures du matin pour aller travailler, ensemble, leur terre, toujours accompagnés de deux chevaux qu’ils montaient et qui portaient leurs instruments de travail. J’adorais les rejoindre dans la journée pour les aider : j’aimais faire des semis et surtout guider les chevaux pendant que mon grand-père tenait l’araire. Le kanoun est en quelque sorte le symbole de ces moments dont je me souviens ici avec l’arrivée de l’hiver.
Ma mémoire me projette alors des années en arrière vers la cuisine de là-bas : maïs grillé, poisson, pain cuits sur un feu de bois dans une petite pièce adjacente ; le pain surtout avec son goût inimitable que je n’ai jamais retrouvé semblable ici, même lorsqu’il est façonné à la maison. Ma mère le cuisait dans un grand plat en argile : il était retourné plusieurs fois, avec une grande délicatesse au début car la pâte était encore molle. La cuisson au bois est incomparable.
Me vient alors l’envie de vivre cela ici. Pourquoi – lorsque, avec des amis, nous restons longtemps à bavarder de choses et d’autres dans la bonne humeur – ne pas installer ce kanoun sur la petite table carrelée du salon ?
Bien sûr le chauffage électrique nous dispense d’une autre source de chaleur mais quel plaisir ce serait de voir ces braises au centre avec leurs rougeoiements plus ou moins vifs, changeant sans cesse et s’obscurcissant lentement.
On peut trouver ces poteries ici dans un magasin d’artisanat. C’est décidé ; je vais en acheter une et l’utiliserai lors de notre prochaine soirée entre amis.
Radia Lemoust